A l’aube elle s’extrait de l’habitacle et se dilue dans l’immense paysage. La chambre 6x6 est prête. Elle lâche prise, dans ce moment de passage de la lumière. Elle arrive au milieu, dans le flux d’événements millénaires, ou soudains, éphémères et fulgurants. Une cascade, un oiseau. Elle oublie.
Eparpillée, fondue dans l’espace, elle déclenche lorsqu’elle voit l’image depuis l’intérieur de son sujet. Lorsqu’elle devient élémentaire, et que sa photographie portera l’empreinte de cet accord. Cosmique, microscopique, elle feuillette le temps et les pages lui reviennent dans la chambre noire.
Elle aime cette phrase de Pascal Quignard : « Chez l’homme et la plupart des vivipares, le temps est perdu. Dans la nature et particulièrement les végétaux, le temps est retrouvé. » Elle attend ce temps-là. Il lui faut une seconde, un peu plus parfois, ou un peu moins. Sans pied, elle bouge, tout bouge. Il fait encore sombre, une seconde de vie se dépose tranquillement dans la boîte. Elle ne sait pas quoi, elle aime ne pas savoir. Elle verra bien plus tard dans la chambre noire si c’est un vrai rêve. Ces empreintes de temps sont un trésor. Elle attache la plus haute importance à la capacité de renaissance, et la photographie façonne sa joie de vivre. Elle voit un glaçon roulé par les vagues et lui demande son image. Il se consumait en elle. Elle l’a reconnu. Elle a déjà été glace, feu et terre, atome. Elle a déjà été femme, elle se souvient qu’elle respire l’air de mondes anciens. (...)
Corinne Mercadier