Comment repenser l’avenir, à travers la mémoire léguée par cel·leux qui nous ont précédé·es ?
Bien loin des projecteurs du théâtre, Jo Libertiaux s’est construite toute seule, dans un monde dominé par les hommes. Issue d’un milieu populaire et mariée très jeune, elle a divorcé en 1982, à une époque où cela était encore mal perçu par une grande partie de la société. Pendant des années, elle a travaillé comme coiffeuse, afin d’élever ses quatre garçons en toute indépendance. Aujourd’hui retraitée, cette femme libre et infatigable a accepté, à plus de 70 ans, d’entamer une nouvelle carrière : devenir comédienne. Accompagnée de son plus jeune fils, l’acteur, auteur et metteur en scène Cédric Eeckhout, elle monte sur les planches et se lance avec lui dans un pas de deux théâtral, au sein duquel la mémoire intime frôle l’histoire récente de notre monde, pour tisser le récit d’un précieux héritage : l’amour infini entre un fils et sa mère.
Dans le cadre de son précédent spectacle, Cédric Eeckhout avait déjà entraîné sa maman aux quatre coins de l’Europe post-Brexit, pour confronter ses fêlures personnelles au destin d’un continent de plus en plus craquelé. Mais la belle aventure théâtrale de ce duo rempli de tendresse ne pouvait s’arrêter en si bon chemin. Et c’est aujourd’hui au Varia, en partenariat avec Les Tanneurs, que nous nous réjouissons de les retrouver dans une nouvelle création d’une sincérité totale et d’un humour décapant. Au côté d'une chanteuse/pianiste, Jo remonte sur scène pour nous offrir, cette fois-ci, le récit de sa propre existence. Sept décennies d’espoirs, de luttes et de désillusions, traversées par une femme qui s’est toujours tenue du côté de la joie. Elle raconte sa vie et, à ses côtés, Cédric la romance, l’incarne, devient peu à peu le double fantasmé de cette héroïne qui, à sa manière, a contribué au long combat des femmes vers l’émancipation.
Outre la magnifique complicité qui relie une mère et son fils, Héritage questionne aussi ces liens d’amour et de transmission qui, d’une génération à l’autre, contribuent à la fabrication de nos identités. Comment s’est forgé ce matrimoine immatériel qu’une femme lègue à son enfant ? Comment ce dernier s’est-il construit en tant qu’homme, dans le sillon de sa mère, pour dénoncer aujourd’hui la violence du patriarcat ? Malgré les obstacles qu’elle a rencontrés, comment le passé de Jo, qui a connu l’horizon florissant des Trente Glorieuses, dialogue-t-il avec le présent de son fils, dans une Europe tiraillée entre crises sociales, économiques et écologiques ? Entre récit intime et réflexion politique, Héritage transforme la scène en un terrain de jeu et de mémoire, résolument tourné vers l’avenir. Aussi drôle que touchant, cet autoportrait croisé d’un artiste confirmé et de sa mère, une comédienne naissante, nous rappelle qu’au théâtre, il n’est jamais trop tard pour faire entendre sa voix.