Au départ, la saga de Ghalia Vauthier avait tout ou presque du conte de
fées. Issue de la communauté Rom, cette jeune Belge fut en effet
quasi-découverte sur les pavés de Bruxelles, où elle faisait la manche
en beuglant son blues seule à la guitare. Thomas Ruf lui finança un
premier album en 2017, l’expédiant à la Nouvelle-Orléans pour
l’enregistrer avec l’un des plus brûlants blues-rock outfits locaux, les
Mama’s Boys de Johnny Mastro. Sur la foi du carton de ce “Lets The
Demons Out”, notre german enterpriser lui remit le couvert pour le
dûment intitulé “Mississippi Blend”, capté dans les fameuses North Hills
de Coldwater, avec rien moins que Cody Dickinson, Cedric Burnside et
Watermelon Slim. Bingo à trois reprises dans les Billboard Blues Charts,
ce second essai lui valut la reconnaissance de la presse spécialisée
comme de la communauté blues internationale. Et puis quoi? Vous
n’imaginiez tout de même pas que la puce habitait sa propre
constellation? Donc Covid, comme tout le monde, pardi! Plus
d’engagements, plus de concerts, plus de promo et plus de groupe non
plus… Là où Hervé Vilard lui-même aurait pu se montrer tenté par un
moment d’introspection, Ghalia n’a pas réfléchi à deux fois: tant qu’il
reste de la vie, il y a de l’espoir. Puisant dans son rémanent héritage
culturel, elle est revenue à ses fondamentaux. Dix doigts, deux pieds,
une voix: le nécessaire vital pour retourner faire la manche sur les
trottoirs. Mais cette fois, il s’agit de ceux de la Louisiane, du Texas,
du Colorado, de l’Arizona, de la Californie, du Wyoming, du Kansas, de
l’Illinois, du Kentucky, du Kansas, de l’Utah, du Nebraska et du
Tennessee. C’est de ce périple et de cette expérience de survie qu’elle
tire les dix originaux qu’elle délivre à présent seule en piste. “Last
Minute Packer” ne traite pas d’autre chose que cette vie d’errance dans
laquelle elle s’est lancée tête baissée pour échapper à la sclérose
ambiante. Elle y rejoint l’esprit d’une autre jeunette, toute aussi
déterminée voici un quart de siècle, Sue Foley (“Evil Thoughts”, “Loving
Me Is A Full Time Job” et le proto-rockab’ “Just One More Time”,
réminiscent du “Reet Petite” de Jackie Wilson). Capté à Memphis au Royal
Sound Studio de feu Willie Mitchell, ce skeud suinte de bout en bout
l’urgence de la cavale. Tels chez feu John Lee Hooker, les réflexes
boogie agitent “Espiritu Papago” et “Can’t Escape”, et sur “Reap What
You Sow” et l’enragé “Bad Apple”, la slide rugit comme sous le
bottleneck d’un George Thorogood infecté du tétanos. Des histoires de
loose dans le désert et de destin plombé, le blooze vécu jusqu’à la
moelle. La forme en épouse le fond: caisse claire, charley et bass drum
aux boots, notre donzelle affiche le mental buté de Calamity Jane, et
elle n’avait sans doute encore jamais si bien feulé (“Meet Me In My
Dreams”).
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder