A propos
Common Stories : une aventure collective inédite et utopique touche à sa fin au terme de trois ans d'odyssée à travers l'Europe et le continent africain. Ce projet européen novateur porté par la MC93 nous rassemble aujourd'hui au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, qui en est partenaire, pour interroger, contester et réinventer ce que signifie la diversité, l'identité et l'appartenance dans l'Europe contemporaine.
C'est le lieu incontournable où la théorie rencontre la pratique, où la rigueur académique percute l'urgence artistique, où l'invisible devient central.
Pendant trois ans, Common Stories a réuni chaque année huit à neuf artistes émergent·es à travers son programme itinérant CommonLAB, traversant des institutions de la MC93 à Bobigny jusqu'au Riksteatern à Stockholm, d’Africologne à Cologne jusqu'à Alkantara et Culturgest à Lisbonne. Le projet a confronté une question fondamentale : comment les institutions européennes des arts de la scène, espaces de représentation par excellence, peuvent-elles refléter les profondes transformations sociales et culturelles qui remodèlent notre continent alors que les scènes, les publics et les équipes institutionnelles restent homogènes ? Cette conférence marque à la fois une fin et un commencement ; un moment pour faire le bilan de ce que nous avons appris tout en ouvrant de nouvelles voies.
Les thèmes
La réalité démographique de l'Europe a dépassé son imagination culturelle. Alors que le discours politique présente la migration et l'altérité comme des « problèmes » à gérer, nos scènes restent remarquablement blanches, nos directions institutionnelles homogènes, notre programmation frileuse. Common Stories est né de la reconnaissance que les arts de la scène doivent non seulement refléter et représenter nos sociétés européennes, mais aussi activement façonner des futurs plus justes, pluriels et vivables.
Le « dérèglement » institutionnel : Comment les institutions culturelles européennes peuvent-elles dépasser le tokenisme pour véritablement partager le pouvoir avec les artistes et communautés historiquement exclu·es ? Quels changements structurels, dans le recrutement, la programmation, l'allocation des ressources, la prise de décision sont non-négociables ?
La violence de l'universalisme : Comment le mythe de l'art et de la culture « universels » perpétue-t-il l'exclusion ? Que se passe-t-il quand on nomme la blanchité, l’hétéronormativité ou la masculinité, qu'on conteste l'eurocentrisme et qu'on centre les savoirs depuis les marges ?
Corps, espace et visibilité : Comment l'architecture urbaine, l'esthétique institutionnelle et les espaces de performance eux-mêmes encodent-ils les histoires qui comptent ? Que signifie faire vivre les corps dominés, rendre visible l'invisible, et qui décide ? Comment soutenir les artistes qui usent de rituels et de formes dites illisibles par la critique traditionnelle ? À qui appartient l’art ?
La question européenne : Quels futurs pouvons-nous imaginer pour un projet européen de plus en plus menacé par la xénophobie, le nationalisme et l'instrumentalisation de la « diversité » comme bouc émissaire politique ? Comment les arts du spectacle participent-ils à la construction de solidarités par-delà les différences ?
Les intervenant·es
Mame-Fatou Niang apportera son analyse incisive des géographies noires, de l'universalisme et de l'institutionnalisation de la pensée antiraciste en France, en Europe et au-delà. Co-réalisatrice du documentaire Mariannes Noires et fondatrice du Center for Black European Studies & the Atlantic à Carnegie Mellon, la recherche de Niang démonte la fiction du républicanisme daltonien, révélant comment la construction de l'identité française marginalise systématiquement les corps noirs tout en s'appropriant leur travail et leur créativité.
Hortense Archambault, qui a co-dirigé avec Vincent Baudriller le Festival d'Avignon durant une décennie transformatrice (2004-2013) avant de prendre la tête de MC93 depuis 2015, incarne l'engagement institutionnel à faire place aux voix historiquement exclues des scènes européennes. Sous sa direction, MC93 a lancé Common Stories, une reconnaissance de la nécessaire transformation structurelle, et non cosmétique, des institutions.
Pankaj Tiwari, créateur de théâtre et curateur originaire de Balrampur en Inde, aujourd'hui basé à Amsterdam, travaille à l'intersection de la performance, de la construction communautaire et de la critique institutionnelle. Sa pratique pose la question : comment rendre l'art politique populaire ? Co-curateur au Gessnerallee de Zurich et fondateur de TENT: A School of Performative Practices, Tiwari bâtit des structures temporaires, réactives, poreuses, sans peur de l'effondrement, en opposition à « l'air fétide » des institutions rigides.
Emmanuel Ndefo, performeur, danseur et chercheur nigérian partageant son temps entre Nigéria et Europe, utilise son corps comme site d'investigation. Né à Sabon-Gari, Kano, un carrefour culturel où se croisent 370 groupes ethniques et plus de 500 langues du Nigeria, Emmanuel Ndefo navigue à travers les multiplicités de l'identité, les tensions de la traduction et le potentiel libérateur du savoir incarné. Ses performances comme Adamma et Traces of Ecstasy explorent comment les corps habitent l'espace, négocient l'appartenance et communiquent des vérités au-delà du langage.
Safia Kessas est autrice, réalisatrice et journaliste engagée depuis plus de vingt ans pour la diversité et la visibilité des voix minoritaires dans les médias et la culture. Son parcours est marqué par la création de documentaires et podcasts qui mettent en lumière les mémoires oubliées et les enjeux contemporains autour du genre. Elle a accompagné pendant trois ans le programme Common Stories en qualité de d'advisor, soutenant l’émergence de nouvelles narrations européennes et de bonnes pratiques au sein des institutions.