Rémanence
Première, et comme immédiate, s’engage la perplexité. Quelque chose a eu lieu, mais quoi? Trois fois rien s’apprête à se passer ou à se dire, mais comment? L’instant semble prêt à fuir, mais quand? Dans cette photographie en apparence classique, dans ce 24 x 36 noir et blanc qu’on apparenterait commodément à «l’instant décisif», quelque chose d’indécis s’entête malgré tout et dévie sans cesse. Comme une lumière ténue, un souvenir fugace — une réminiscence, une rémanence même, beau mot qui donne à la série son titre allusif.
Les choses pourtant paraissent simples, mais souvent semble manquer un complément essentiel: une légende ou une explication; un contexte ou un décor; un bras même, ou bien une tête, ou les deux; ou encore un interlocuteur. Et c’est de ce côté incomplet, lacunaire que cette séquence, qui n’en est pas une, tire son côté intrigant. Comme un jeu sur le hors-champ dont aucun plan suivant ne viendrait donner la clé; comme un jeu sur le hors-temps, qui rend l’image difficile à dater; comme une imprécision même à travers les détails, d’où sourd une dimension à la fois intime et universelle.
Emmanuel d'Autreppe, commissaire de l'exposition (extrait)